XIII. Le rayonnement sacré
La toile de Jouy du couvre-lit et des rideaux habillait de ses scènes champêtres la porte-fenêtre de la terrasse.
Celle-ci, d’inspiration plus méditerranéenne que normande, ajoutait sa note ardente au nom méridional de la propriété : Lou Paradou. Ces rapprochements géographiques, ces combinaisons éclectiques ressortissaient au romantisme des créateurs. Mais si l’architecture témoignait d’influences opposées, elles étaient unies dans un doux mélange, fondues dans le paysage par la modestie des couleurs brunes (propre aussi aux vieilles photographies), alors que le vert et le blanc actuels sont plus criards. Est-ce qu’ils ne cherchent pas à nier la diminution de l’enclos ?
D’autre part, la haie basse de berbéris pourpre alternant avec les marches de pierre incurvées par l’usure, les jardinières des fenêtres, la continuité de l’auvent au-dessus du rez-de-chaussée, le débordement des toits, les deux lanternes de cuivre accrochées sous les saillies affirmaient l’intention de compléter le relief des faux colombages sur la platitude d’un crépi. Les épaississements, les soulignements, les prolongements, les ornements auréolaient, si l’on peut dire, l’édifice, lui conféraient une espèce d’expansion immobile, comparable à celle d’une flamme de bougie et mystérieusement annoncée par l’hyperbole du paradis, comme si la propriété avait informé le passant qu’elle était davantage qu’une adresse de belle banlieue.
C’était une faute, assurément, au premier été, d’avoir négligé l’arrosage de la vigne vierge qui, d’un bac énorme, s’élançait sur les moellons du mur voisin au contact duquel se blottissait la plate-forme. La délimitation trop distincte, trop dure de l’œuvre humaine nécessite les étoffes naturelles, — comme un propos apparemment réaliste gagne à s’enrichir d’un sens en filigrane, ou comme un récit, pour émouvoir, sacrifie l’exactitude à l’idéalisation, ou comme chaque relecture d’un texte succinct habille davantage la sécheresse de son ébauche.
Les colonnettes en ciment supportant l’appui de la terrasse étaient un peu pataudes, mais ajoutaient leur bordure à toutes les autres et prolongeaient exactement la frise des x mystérieux entre l’auvent et les fenêtres du premier. Cette décoration sans désordre ni surcharge m’habitua à la nécessité des moulures, me prévint contre l’aspect lisse du moderne, voire contre un corps non dessiné, si je vais jusqu’au bout d’une cohérence d’ordre concret. En outre, la compartimentation des surfaces, — par les petits carreaux (jusqu’à cent vingt-huit sur la porte-fenêtre de la salle à manger), par les tuiles plates, par les triangles et les rectangles que traçaient les colombages, — m’inculqua ou encouragea chez moi une disposition d’esprit à diviser la pensée à l’instar de choses vues quotidiennement.
Les coudes sur le garde-corps, nous nous trouvions à la hauteur des feuillages des arbres du trottoir. Le déclin du soleil, printanier ou estival, achevait de nous cacher la rivière, de l’autre côté de la route tranquille, et la conversation s’assourdissait en harmonie avec l’obscurité croissante, avec le silence de l’eau rafraîchissante, digne d’un éden si différent de l’enfer de ma naissance, lors d’un été calamiteux par ses records de chaleur et ses formidables incendies, dans un lieu déjà exclu de ma mémoire, mais dont l’épreuve enregistrée corporellement valorisait ces bords de Marne.
Hélas, les moustiques commençaient leur persécution et la poursuivaient contre les dormeurs, dont la vigilance, armée de pantoufles, avait d’abord retardé les songes.