Joie
1. La gaieté a la constance du caractère, si bien que l’on peut la juger idiote. La joie dépend des circonstances ; comme elle est passagère, elle trouve place dans une succession d’états, individuels ou partagés.
On dispose donc de sa gaieté ; mais il faut se souvenir de sa joie. Pascal s’aidait du Mémorial pour renouer avec la plage extraordinaire du 23 novembre 1654, « depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi ». Ravissement chronométré !
2. La joie, si mémorable soit-elle, attendra confirmation. Elle ne se contredit pas en versant des larmes : elle mesure le prodige de son bonheur. L’heureuse étape n’est que l’oasis dans le désert.
3. L’assurance de la plénitude tient à la valorisation innée des événements insignifiants.
Le vrai bonheur, celui de l’enfant, ignore ses causes et exclut avant lui la connaissance de soi. Mais la joie marque le retour personnel quand on a voulu se nier, ou se perdre dans les spéculations de l’esprit, s’égarer ou s’abstraire pour se détourner des insistances de sa vérité.
4. L’abstraction avait été à l’intelligence cartésienne du divin ce que la joie fut au pur amour de Fénelon. Le refuge tardif d’une mysticité toute passive fut la réponse extrême du XVIIe siècle au double jeu de la raison, apologétique ou critique.
5. Le soleil de l’après-midi sur les belles pierres d’en face m’a suivi de la banlieue dans Paris. Jadis il exaltait un amour encore inavoué ; maintenant il stimule des pensées dont je me grise seul.
6. On aimerait se croire rattrapé par un pas qui ait une autre cause que de plus longues enjambées… Entre deux points de l’espace si rapprochés que la marche hâtive réduit terriblement l’intervalle, se situe le moment ritualisé par un commun retour, plus sûr qu’un rendez-vous, aussi régulier qu’une relation, moins inavouable que le faible auquel il sourit.
7. Obtenir l’attention des gens que l’on aime, sur d’autres sujets que l’amour, enivre une passion rentrée, — tant qu’elle n’aspire à rien de plus.
8. Une bonne frénésie attache au travail ; la mauvaise conduit au délire. L’une est source d’ardeur et l’autre, de violence.
9. Les audaces de l’insoumission consolent la pleutrerie comme les exploits des contrevenants, l’honnêteté forcée.
10. On s’amuse d’être ou d’avoir ; ici la flamme du sourire brûle intérieurement avec une pointe de malice, là elle éclaire les autres comme pour chercher leur sympathie ou leur reconnaissance.
11. Où est le miracle ? Dans l’ascendant que prend quelqu’un sur un grand nombre de ses semblables, ou dans le mimétisme qui entraîne une multitude derrière le premier suiveur ? Un mécanisme moutonnier gomme l’admiration d’une influence à laquelle il suffit d’en toucher un seul.
12. Le pouvoir républicain savoure ses délices quand le silence de l’opposition vaincue fait croire très provisoirement que tout le pays s’est rallié. Mais cet « état de grâce » n’est qu’un effet de l’élection et cesse dès les premières fautes.
13. L’autorité obtient l’obéissance, même sans accord ; l’influence se fait obéir d’autant mieux qu’elle a suscité l’adhésion ; le charisme ajoute encore à cette double réussite le culte de la personnalité, de sorte qu’il atteint le sommet du commandement, son degré quasi divin. Le déclin du pouvoir redescend l’échelle jusqu’au désordre.
14. Le vrai charisme n’est pas seulement de plaire à des partisans, même innombrables, mais de savoir suspendre la mémoire des désaccords.
15. L’approche des gens en vue est le soleil des obscurs.
16. De la grandeur d’un seul toutes les personnalités s’élargissent.
17. La mémoire des grands hommes est polythéiste et les immortalise. L’idolâtrie concentre les forces de l’adoration sur une seule personne, que l’oubli menace. L’hommage de l’une est raisonné ; l’exubérance de l’autre, excessive.
18. Il n’est pas sûr que l’enthousiasme habite le martyr aussi fermement que l’extasié. En tout cas l’exemple, validé par un culte, est censé élever les cœurs. Mais la sainteté n’a pas le monopole du sens religieux : l’héroïsme païen concerna des demi-dieux. Hercule mérita de siéger parmi les Olympiens après ses aventures terrestres.
Si dévoué qu’il fût au genre humain, il expiait par ses travaux des coups de folie meurtriers. La perfection du saint (d’ailleurs discutable si l’on songe au reniement de saint Pierre) avive les louanges ; les exploits du héros suffisent à sa gloire. L’absolu justifie la vénération de l’un ; la renommée de l’autre valorise d’autant plus l’extraordinaire que le personnage n’est pas irréprochable, — ne serait-ce qu’en raison de l’amour-propre à la source de sa conduite. Dire que Jeanne d’Arc est une héroïne, implique qu’elle voulait s’illustrer ; saluer en elle une sainte en fait l’instrument docile des voix célestes.
19. L’héroïsme des contemporains de Corneille intériorise le devoir : il devient une passion qu’une échelle de valeurs entraîne vers le haut. Rodrigue sacrifie l’amour à l’honneur familial, puis met sa bravoure au service du royaume. Mais combien d’exploits doit-il accomplir pour que Chimène accepte de l’épouser malgré la mort de son père ? L’ascension, si jubilatoire qu’elle soit, n’est pas indéfinie : le souverain accorde un an de deuil à la fille de don Gomès et le climax final rassure le héros : « Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi. » Le premier affaiblit l’objection, la deuxième confirme l’argument et le troisième pèse de toute sa volonté.
20. La dictature se mêle de toutes les tâches, s’immisce dans tous les services de l’Etat ; la coquinerie met en place ses acolytes ; la grandeur s’entoure des vrais talents et rayonne du faisceau de leurs apports.
Les témoins d’un grand siècle sont conscients de vivre une époque supérieure ; mais il ne suffit pas de croire son temps glorieux pour qu’il le soit effectivement.
21. L’extase des autres paraît toujours ridicule ; pour peu qu’elle distingue une confrérie avide de promotion sociale, elle devient exécrable.
22. A notre enthousiasme devant une vue panoramique nous mesurons l’extase à laquelle nous élèverait la connaissance universelle.
23. Le jardin est en friches bien avant que la maison abandonnée soit en mauvais état, et si l’on doit se détacher d’une habitation mise en vente, on commence par perdre ses repères dans l’environnement, si charmant soit-il. Mais ayant vécu jadis dans un pavillon aujourd’hui privé de son jardin, j’ai été par deux fois incapable de m’y réinstaller, craignant que la proximité de la nouvelle clôture ne m’offrît le spectacle définitif d’une quasi-expropriation. On a beau adorer une architecture, son contexte verdoyant compte indispensablement.
Associés au sanctuaire ou à la grotte, les jardins grecs furent des espaces intermédiaires entre l’humain et le divin, car peuplés de Nymphes que leur extrême longévité ne rendait pas immortelles. Pourquoi s’étonnerait-on que cette espèce de sas entre le monde ordinaire et la profondeur la plus sacrée du pouvoir oraculaire, et dont le passage figure une progression vers la vérité, soit devenue dans la Grèce antique, avec la montée de l’individualisme, un lieu de formation physique, morale et intellectuelle, un de ces gymnases athéniens encore placés sous l’égide d’une divinité, — tels l’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote ou le Cynosarge d’Antisthène, respectivement patronnés par Athéna, Apollon et Héraclès, — ou une retraite aussi libérée de la religion que le jardin où Epicure enseignait sa philosophie ? Sacralisé par des végétaux, le jardin grec, dédié fondamentalement aux Nymphes (ces anges du paganisme), à la fois supérieures et insuffisantes, est par sa position moyenne l’image d’un progrès de l’humanité cultivant son corps et son esprit. Cependant, malgré leur symbolisme ambitieux, ces endroits dont nous savons peu de chose, ne sont pas, indépendamment des disciplines que l’on y pratiquait, exaltants, — non plus que les carrés spécialisés du jardin flamand, trop utile pour enchanter. A quoi donc tient la magie des œuvres du jardinage ?
La plus terrestre repose sur l’art de réjouir l’œil par une étendue plus grande que sa réalité, effectivement ou fictivement. Construit en terrasses sur une pente, le jardin italien accroît la surface de l’obliquité et, grâce à sa situation dominante, s’élargit par le spectacle du paysage. Le jardin japonais, par l’agencement de ses plantations, peut aussi donner l’impression qu’il n’est pas clos et que l’on s’y promènera jusqu’aux reliefs de l’horizon.
Ou bien l’ailleurs fait son entrée : à Babylone, les arbres « suspendus » étaient censés rappeler à la reine Amytis les montagnes et les bois de sa Médie natale. Plus ouvert, ce type de jardin, microcosmique, accueille tout un empire : en Perse, un plan cruciforme correspondait aux quatre grands fleuves du territoire conquis (le Nil, l’Euphrate, le Tigre et l’Indus). L’immensité se reproduit dans une copie plus restreinte quoique très imposante : ainsi à Rome, le regard de Néron embrassait le pourtour méditerranéen depuis la Domus aurea devant laquelle s’étalait, dit Suétone, « une pièce d’eau semblable à une mer, entourée de maisons formant comme des villes » ; ajoutons les neuf régions de la Chine impériale disposées dans un cercle d’îles du Yuanming yuan. De telles configurations miniaturisent tout un univers, dont le modèle réduit stimule ensuite l’imagination ou enivre de puissance.
Microcosme très particulier, le jardin zen montre des îlots dans un rectangle de sable ratissé analogue aux vagues de la mer, comme s’il s’agissait du Japon vu d’en haut. Or ce dépouillement, aidant à prendre du recul et à éliminer le superflu afin de tourner l’esprit vers l’éveil salutaire, introduit une nouvelle catégorie, celle des jardins métaphysiques. Le bassin coréen reflète le ciel et les gradins autour de l’eau semblent des marches pour s’élever vers les airs. Le jardin islamique offre au moins un avant-goût paradisiaque, ne serait-ce que par des ombrages dont on peut rêver dans des pays écrasés de chaleur. Au cœur du jardin moghol, un mausolée représente la montagne cosmique et l’axe médiateur entre les continents et les cieux, sinon le trône de Dieu même régnant sur le Paradis.
Plus modestement, le jardin que nous qualifierons d’humaniste, promeut quelque aspect de l’homme. Le contraste chinois des eaux dormantes et des roches tourmentées, du Yin et du Yang, devient dispensateur d’énergie vitale et d’équilibre. La villa romaine, mariant la végétation et diverses architectures, illustre un précepte philosophique très général : vivre conformément à la nature. Le géométrisme français, avec ses buis taillés, loue la raison d’avoir établi sa souveraineté sur le milieu sauvage jusqu’à produire des métamorphoses surprenantes. Quant au style anglais, ses courbes sont un hymne romantique à la liberté et au rêve : tel fut l’écrin d’une enfance exquise…
24. Telle est la magie d’un lieu central que, milliardaire ou sans logis, on y sent l’existence plus forte.
25. De puissantes architectures le long d’un fleuve font toute la splendeur d’une ville. Le cours d’eau emprunte une galerie dont l’immobilité ne s’inquiète pas du temps qui passe, et la majesté semble aussi tranquille que le flux naturel.
26. En des lieux exceptionnels, l’uniformité architecturale a doué d’une force exaltante la perfection du cercle ou du carré. Le Circus de Bath, les places des Vosges ou Vendôme à Paris montrent à quelle idéalité peut s’élever l’ordre humain en se substituant au fouillis naturel.
27. Un obélisque est une bougie de pierre allumée par l’astre du jour.
28. On admire les églises et les temples, même sans foi.
29. La grandeur picturale de Rouen passe par la dualité du corps et de l’âme : concrètement, par ces bruns plus ou moins doux, par ces noirs qui assombrissent la rue, tandis que derrière les maisons ou au fond de la perspective, quelque flèche ou quelque beffroi monte vers le ciel clair. Aujourd’hui les couleurs vives des colombages ont rompu ce contraste.
30. Un escalier, public ou privé, réclame tous les soins de l’architecte : c’est une partie d’autant plus exaltante (au sens premier) que l’on y songe pour s’élever plutôt que pour descendre. (Ainsi qu’à l’ascenseur malgré sa double fonction !)
Dans une étourdissante sonate de Scarlatti, je crois entendre que l’on monte précipitamment des volées de marches, à s’en couper le souffle. L’affinité avec la musique se confirme visuellement : de même que des degrés se prêtent à nos pas, les touches d’un clavier invitent nos doigts.
Intrinsèquement, qu’est-ce qui fait la grandeur (esthétique) d’un escalier ? Le nombre, ou la taille des marches devenant gradins ou, plus encore, plates-formes, terrasses ? La multiplication, source d’infinitude, et l’ampleur imposante, associées ou non, permettent à l’élément compris si fréquemment dans un ensemble de se présenter comme une totalité. Car la figure remanie l’inclinaison d’un jardin pour lui substituer des horizontalités avantageuses ; elle suit une rue et la rend praticable ; elle épouse la courbure d’un pont ou d’une passerelle ; elle s’enroule dans une tour ou dans une colonne ; elle remplit tout un théâtre grec, tout un amphithéâtre romain ; elle sculpte la pyramide irrégulière de Saqqara, la Tour de Babel ou les étages en retrait d’un immeuble moderne.
Le moindre escalier s’auréole donc de prouesses potentielles. Très nettement quand il tourne autour d’un axe, il rayonne à l’instar d’un soleil. Quelque forme qu’il prenne, sa verticalité relie le terrestre au céleste, l’ordinaire au glorieux, de telle sorte que les stars sélectionnées montent les marches du Festival de Cannes.
31. Le génie de Nicolas Poussin élève notre regard de vingt manières. Les unes viennent simplement de la nature : une éminence, voire abrupte, bossue l’horizon ; une frondaison légère prend un aspect aérien ; une blanche nue resplendit d’un éclat solaire. Les autres tiennent aux mouvements humains : des yeux se tournent vers le Ciel ; l’émotion ou le port d’une cruche, d’une corbeille ou d’une couronne tend des bras vers le haut ; un index est pointé dans cette direction. Quand la fumée d’un incendie s’en échapperait, l’architecture apporte sa puissance : un obélisque, des édifices monumentaux, des tours se dressent, des marches de pierre conduisent à la moitié supérieure de la toile. Le surnaturel introduit le plus spectaculaire : la colombe du Saint-Esprit, des anges, des divinités sur leur nuage, des enlèvements miraculeux (d’un baroquisme certain). Une force ascensionnelle entraîne la matière et dispense au contemplateur du tableau cette délectation visée par le grand peintre classique.
Les moyens peuvent d’ailleurs se conjuguer. Dans La Mort de Saphira dont la scène tragique occupe le premier plan, un apôtre, à droite, lève les bras pour saluer une punition divine de l’avarice. En s’enfonçant dans la perspective centrale d’une rue de Jérusalem idéalisée, bordée de riches demeures, on rencontre, au point de fuite de la composition et à proximité du doigt accusateur de saint Pierre, l’antithèse de la femme foudroyée : un homme charitable, tout de bleu vêtu, s’incline vers un mendiant, au bord d’un bassin dont la surface réfléchit plus loin des silhouettes et peut être considérée comme un miroir des volontés célestes ; puis on arrive à un large escalier menant à d’autres constructions majestueuses ; elles sont dominées par une montagne à pic, elle-même coiffée d’une forteresse, juste au-dessous d’une nébulosité que blanchit partiellement la lumière du soleil. Qui veut lire le monde en profondeur, reçoit donc la leçon et monte vers Dieu.
Le décor de cette organisation théâtrale n’est pas gratuit : il prolonge dans son axe une initiation par l’image, dont la facture géométrique impose l’ordre et le sens. Nulle autre illustration du récit du Nouveau Testament ne comporte un tel arrière-plan, une pareille structure en creux ; aucune autre représentation ne nous tire ainsi vers un sommet. Que l’enseignement de l’épisode hérisse contre les exigences d’une communauté, contre la sévérité de la peine, que la ferveur chrétienne se soit refroidie, la joie picturale demeure.
32. Les vues de Joseph Vernet ont la réalité, la vie de nos bassins portuaires sous Louis XV ; les visions de Claude Gellée ont la profondeur infinie de la mer, enchantée par les architectures antiques, par le soleil. On débarquerait volontiers chez celui-là ; on voudrait embarquer chez celui-ci.
33. Le pittoresque « frappe et charme tout à la fois les yeux et l’esprit », dit Littré.
Ainsi l’arc de cercle au-dessus de la rivière et parfois la courbure du tablier, donnent de la grâce au pont tout en l’accordant avec la voûte céleste. La pierre s’intègre dans le site comme une roche érodée et le miroir des eaux ferme l’arrondi, confirmant l’union de l’artifice discret et de la nature.
A ces rapprochements verticaux s’ajoute, à l’horizontale, le lien esthétique entre les deux bords. Une rupture de la voierie est réparée dans le paysage urbain, avec d’autant plus d’harmonie si le passage supplétif complète un axe monumental. Le symbolisme élargit la fonction utile en associant le pont au signe de l’unité, — mystique dans sa plus généreuse interprétation.
Au cœur de sa percée centrale vers un extérieur proche, puis très éloigné sous un vaste ciel, la Vierge d’Autun présente un pont dont les six arches répondent aux arcades du premier plan, délimitant la chapelle où le chancelier Rolin, à gauche, est en prière devant Marie couronnée, l’Enfant sur ses genoux. Entre les deux colonnes du triptyque du fond, entre l’humilité du bourg et sur la rive droite la splendeur de la Cité divine, Jan van Eyck a situé, au niveau des mains du Christ et de l’homme d’Etat, l’une bénissant et les autres jointes, le symbole de leur communication. Le caractère paisible et apaisant de cette conversation sacrée tient à la coexistence spatiale de l’histoire et du mythe, et sur la ligne du pont, de l’ancien et du nouveau, — le progrès sur le fil temporel dépendant de l’intercession de la Vierge.
34. La rigueur du dessin est à la grandeur tragique ce qu’un léger flou est à la douceur lyrique. Les trois arcades du Serment des Horaces encadrent l’héroïsme des trois fils ; les arbres penchés du Souvenir de Mortefontaine coiffent irrégulièrement la simplicité d’une cueillette dans une atmosphère un peu vaporeuse. Chez David, les personnages debout communient dans le devoir ; chez Corot, les présences féminines s’unissent au paysage, — d’une façon non moins sublime : la cueilleuse lève les bras pour atteindre des branches basses, comme le père romain pour porter les épées à la hauteur de ses vœux.
Ce geste anime aussi la sculpture dans ce qu’elle peut avoir de plus macabre : le transi de Ligier Richier tend le bras gauche pour élever son cœur et attester sa foi au delà de son cadavre.
35. Chardin fut le peintre du regard, non pas levé au ciel, mais très souvent dirigé sur un objet manié plus bas. Il ne s’agit pas d’exaltation, mais de concentration. Un ou deux personnages attentifs se penchent sur un gobelet, une tasse, une bulle de savon, un château de cartes, un toton, la coiffe d’une fillette, un tissu brodé, un portefeuille de dessinateur, un crayon, une coulée de cire, un grimoire. Que l’acteur humain se retire, nous descendons dans le monde de la nature morte et il n’appartient plus qu’au spectateur du tableau de laisser entrer en lui une matière théoriquement inanimée, au lieu de monter vers le spirituel.
Cependant notre conscience ne sombre pas dans la réification ; elle est fascinée par le mystère d’une apparente inertie, car le mur ou le sol semble voir par l’œil noir d’un lièvre ou d’un lapin rapporté de la chasse et suspendu, ou par les yeux d’une raie sanguinolente accrochée de face, comme pour nous avertir, — sans nous inquiéter, — d’une vie cachée dans tout ce qui nous entoure. Un discret animisme nous unit aux diverses choses (utiles, potables ou comestibles) dont les tables de cuisine sont chargées. Recueillis dans le silence quasi religieux des œuvres de Chardin, nous nous lions au réel et renouons avec une profondeur païenne. Alors que les Vanités nous éloignaient de notre dimension charnelle, le goût bourgeois recouvre d’une nappe blanche l’autel d’une corporéité serviable. Comment Diderot, qui prête de la sensibilité à la pierre, n’aurait-il pas admiré le célébrant de ce culte, dont les trois autoportraits aux bésicles nous invitent à ne rien perdre de l’épaisseur environnante ?
36. L’imagination biblique suit le progrès de l’humanité : elle commence par un jardin et finit par une ville. Mais en dépit d’une puissante architecture brillant de tous les feux des pierres précieuses, le second site n’ignore pas l’arbre de Vie, dont la consommation était liée en Eden à l’immortalité et à l’absence de travail. Quoi de plus heureux ? Cependant L’Apocalypse ne promet que le tarissement des larmes ; le lyrisme de l’allégresse fait défaut. Le bonheur ne paraît tenir qu’à la stricte adoration d’un Dieu descendu parmi tous, — sans qu’une piété si rapprochée de son objet inonde les cœurs.
Dans sa Cité du Soleil Campanella se souvient de la splendeur des édifices de la Jérusalem future ; il adapte le règne de Dieu à la condition des mortels en instituant une théocratie en la personne d’un Métaphysicien. Par ailleurs le sacrifice de tout individualisme à une collectivité très active ne produit que des règlements : malgré le titre radieux de l’exposé, le réformateur n’a pas l’art de réjouir les Solariens.
A force d’énumérations et de mélioratifs, il semble que Georges Perec soit plus doué. Dans Les Choses un couple de psycho-sociologues rêve « des cités de cent étages », modernes et luxueusement bâties, où le travail s’effectue mécaniquement en sous-sol. Leur imagination s’emballe jusqu’à l’apothéose musicale rassemblant des multitudes sur des esplanades. « Leur vie était amour et ivresse. » Malheureusement le retour à la réalité désenchante leur délire, — comme la pauvreté dénonce l’engrenage publicitaire.
Moins dupe de son univers que le prêcheur et le philosophe, le romancier est pourtant le meilleur chantre de la joie.
37. Jadis le programme de Sixième s’achevait sur le triomphe de l’hellénisme et le dernier chapitre de notre manuel d’histoire s’ornait des magnificences de Pergame.
Au voyageur entré par la porte méridionale, ouvrant l’enceinte d’Eumène II, la rue qui montait vers l’acropole, offrait une sorte de parcours initiatique en trois temps. La ville basse, commerçante, appartenait au monde des choses ; ensuite, protégés par la vertu d’Héra et par la fécondité de Déméter, les vastes gymnases de l’étage moyen correspondaient à la formation de l’homme ; son épanouissement était réservé au sommet, dont le triple rayonnement, sous le patronage de Dionysos, d’Athéna et de Zeus, conjuguait la purification morale par le spectacle théâtral, les connaissances accumulées dans la bibliothèque et le pouvoir royal garant de l’ordre. La domination du paysage, accrue par l’ascension, persuadait sûrement le visiteur de sa valorisation personnelle. La Gigantomachie, déployée sur le soubassement du colossal autel dédié au dieu souverain, lui permettait de participer à la majesté d’un nouvel Olympe, — urbain, mais uni par l’art au site naturel.
38. Vézelay eût été l’acropole d’une ville qui se serait étendue sous ses remparts. Heureusement, rien n’a gâté les alentours de l’éminence sacrée.
Qu’admire-t-on le plus : l’intérieur de l’église de la Madeleine ou le panorama du sud ? Ils sont liés par le symbolisme de l’impulsion divine mouvant la matière. Car les nombreux plis de la robe du Christ en gloire dans le narthex, repris par le style des autres sculptures, attestent dans l’édifice l’action du même influx qu’au sein de la nature environnante : la pierre, artistement côtelée, frissonne par l’effet du même souffle que le pays bossillé. Régulièrement creusé, à la fois naïf et mystérieux, le plissage des vêtements, complété par les stries des cheveux, des doigts, des cottes de mailles, des pailles et des plumes, anime l’œuvre du croyant comme le doux relief à l’infini est habité par le créateur. Le lieu est donc entièrement ébranlé par l’Esprit, qui dans l’avant-nef, autour de l’icône minérale et personnifiée de la connexion salvatrice, envoie partout prêcher les apôtres. Telles des ondes propagées, la bonne parole se répand.
Vivement inspiré par ce cadre tout rempli de sillons et de vagues, l’enthousiasme de saint Bernard renouvelle l’évangélisation universelle par la croisade. Il s’agit encore d’une conquête terrestre : l’âme vibre en restant au niveau du corps, sur lequel elle entend reprendre ses droits aussi loin que l’horizontalité peut recevoir son message, — sans rencontrer de limites, en vérité, car sur la hanche de Moïse ou du christ et sur le genou gauche de ce dernier, les lignes du drapé s’enroulent géométriquement en une spirale dont le développement n’aurait pas de fin…
39. Qu’est-ce qui associe le jaune à la joie ? Sa chaleur expansive, sa lumière solaire, son éclat divin ou impérial. Mais cette couleur est aussi celle de l’automne, et donc du déclin ; celle du soufre, et donc du diable et de la tromperie.
L’ambivalence se lit dans le tableau correspondant au verre jaune, quand Emma Bovary regarde l’ennuyeuse campagne par la fenêtre d’une maisonnette dans le parc de la Vaubyessard. « C’était joyeux », mais l’illumination, la minéralisation du paysage en or et en topaze, sont illusoires, — comme tout ce que tente l’héroïne pour embellir sa vie.
40. Las des pigeons noirâtres et des corbeaux sinistres, je suis d’abord, tout étonné, un introuvable jeune serin ; tantôt il volette dangereusement au-dessus de la chaussée, tantôt il revient derrière moi trottiner le long des boutiques de la rue du Bac, de telle sorte que je semble maintenant le promener comme on tire un chien en laisse. Au croisement de Verneuil, il tourne brusquement vers la vitrine de fleurs en porcelaine et je l’abandonne à sa quête désespérée d’un milieu plus naturel, craignant trop sa triste fin pour prolonger le charme d’une si douce compagnie.
41. L’exaltation (de la Croix), la Passion (du Christ), la Visitation (de la Vierge), sont à l’élévation, à la souffrance, à la visite ce qu’un vocabulaire de la ferveur est à la platitude.
Une Union dit la force, mais non la grandeur. La Sérénissime République, la Sublime-Porte, le Céleste Empire, faisaient rêver encore plus que Venise, la Turquie et la Chine.
42. On n’a pas eu tort de présenter le sublime comme le superlatif du beau, car même s’il semble s’en être parfois détourné par l’accueil de la laideur, il faut saluer le succès final d’une gageure osée, celle de plaire néanmoins. Il intéresse la joie en tant que création ou sentiment esthétique s’exaltant à l’extrême, mais sans dépasser la limite dont le passage intellectualiserait la conquête et la reconnaissance de la beauté dans un domaine supérieur à la sublimité, à savoir la transcendance abstraite. Or quelle est cette frontière qui sépare les deux notions ?
Ce n’est nullement une plaisanterie de la part de Festus d’avoir identifié dans le latin sublimis la préposition sub (sous) et le nom limen (seuil). On rencontre d’ailleurs chez les auteurs comiques la forme archaïque sublimen (en haut, dans les airs). Quel est donc, au sens littéral, ce seuil vers lequel on s’élève sans le franchir, puisque l’on demeure en dessous ? Où se situe cette position du sublime, éminente et pourtant finie ? L’acception physique du mot latin le lie à la légèreté aérienne ; dans le meilleur des cas, on imagine que l’élévation (sub régit un accusatif de mouvement dans sublimen) s’immobilise sur le sommet où l’on respire encore !
On ne divague pas si l’on se réfère à la première représentation que les anciens se font de l’univers : le Ciel est un bol renversé sur l’assiette de la Terre cernée par l’Océan ; en tournant, la voûte céleste, par ses trous, ne laisse voir de l’au-delà éthéré que les astres. La matière la plus subtile s’isole ainsi de l’air par un voile de nuages. Le sublime, distinct d’une évasion plus lointaine et toute en esprit, arrête l’émotion au niveau de la hiérarchie des éléments que l’admiration et l’art humains puissent au mieux atteindre. La littérature latine n’offre pas d’occurrence du terme plus éclairante que dans la dédicace des Odes à Mécène ; en qualité de poète inspiré, Horace ne démentira pas la signification cosmique du seuil. De sa tête envolée il se promet de toucher les astres : « Sublimi feriam sidera vertice. » Simple contact avec le domaine du feu, nulle transgression toutefois.
Les malheurs de Phaéton et d’Icare montrent que la zone flamboyante, — ne fût-elle qu’approchée, — est dangereuse pour les mortels, de quelque parenté divine qu’ils se targuent. De fait, la puissance du sublime est ambiguë : ou sa violence plaît en terrifiant par le spectacle d’une nature sauvage, anarchique et se moque d’un conformisme délicat (tel fut le paradoxe de Burke), ou son essor transformateur épure, blanchit l’inavouable à travers les valeurs sociales de bon aloi (selon Freud) et le soumet au moins au principe d’une substitution poétique ; ou l’on trouble et choque, ou l’on se réalise profondément en toute tranquillité, et le cas échéant, l’on s’exprime indirectement ; ou l’on ébranle et dérange, ou la sociabilité s’harmonise avec le moi secret et, chez l’artiste, le symbole avec l’intime. D’un côté une joie assez malsaine naîtra d’une vision procédant d’une humeur destructrice ; de l’autre, une ruse facilite un déplacement de la jouissance.
43. La poésie relève à la fois de la joie et de la ruse : de la première par l’enchantement musical et de la seconde par les détours du symbolisme. Mais dès l’instant que ce dernier se décrypte à un niveau supérieur sans humilier son secret, un ravissement s’ajoute aux délices du rythme et des sonorités.
44. La poésie fut chère à la Renaissance, le théâtre au Classicisme, la prose d’idées aux Lumières, le roman au Romantisme, la critique à la Modernité. Mais celle-ci l’a rarement élevée au pouvoir de se rendre agréable ; le cinéma plaît davantage dans ses emprunts littéraires.
45. Ces idées assoupies que réveille une tasse de café, ne sont pas forcément d’une haute intelligence, mais vous devez au noir breuvage une poussée intellectuelle.
46. Les plantes ne se plaisent que chez le fleuriste ; les pendules ne marchent que chez l’horloger ; les objets ne se comprennent que dans leur atmosphère… Mais les pensées s’allument sans les endroits les plus insolites.
47. Nous dépendons trop du siècle où nous sommes. Seule l’éternité vaudrait à l’esprit assez de hauteur pour ne consigner que l’intemporel.
Atteinte ou promise, la transcendance, ou prétendue telle, conclut tant de textes qu’elle devient plus banale que l’empirisme.
48. Les Muses inspirèrent les Grecs, puis ils devinrent exemplaires.
Quitte à décevoir, une premier livre a reproduit un modèle inconnu, dont s’enthousiasmait la curiosité de l’auteur. Un second est à son tour, non la copie, mais l’imitation de cette incomplète révélation du fantôme.
Le rapport avec les dieux passe désormais par un intermédiaire.
49. Issus du stoïcisme de l’empereur Marc-Aurèle et du feu divin présent dans l’âme humaine, les recueils de pensées procèdent de la raison. En déplaçant le génie vers le cœur, le romantisme n’a-t-il pas tari le genre ?
50. Les progrès de l’abstraction à la fin vous enflamment. Inversement, une exaltation inexplicable peut vous éclairer sérieusement.
51. La joie précède l’inspiration tout autant qu’elle la suit.
52. La Rochefoucauld et La Bruyère avaient écrit par jeu. Vauvenargues, Chamfort et Joubert furent influencés par l’âme sensible du XVIIIe siècle. Or le temps les a rendus moins célèbres, — peut-être parce que l’on ne sent pas dans leurs maximes la même distance du pur esprit.
53. La simplicité de l’expression et la fréquence de brefs avis chez Vauvenargues impriment au genre une allure militaire. La fermeté du blâme distingue La Rochefoucauld, comme le goût du dialogue, La Bruyère ; les traits comparatifs, Chamfort ; un doux didactisme, Joubert. Mais le sublime peut élever l’un ou l’autre sans l’identifier.
54. La maxime est aux avis du vulgaire ce que la clarté du soleil est aux lampes.
Mais s’il n’y a pas de grand homme sans bon mot, on compte plus de bons mots d’une source ordinaire. La majesté de la Voix collective ne passe pas forcément par la grandeur de l’action ou de la connaissance.
55. Ce n’est pas par sa propre voix intérieure que l’on entend une maxime réussie ; le résonance est plus auguste.
Je suis réveillé par une voix d’actrice célèbre invitée à la radio. Comme elle aime à moraliser ! Son ton aristocratique me ramène délicieusement au Grand Siècle.
56. Si l’on cherche la dignité de l’écriture, on ne commente pas la vie de son époque comme on le ferait en bavardant. Si l’on est plein du style de ses illustres devanciers, on se persuade agréablement que l’on reprend leur plume pour moderniser le regard sur le monde. On ne s’assimile pas à l’un d’eux (cette folie reviendrait en arrière), mais on assume une continuité stimulante.
57. On trouve des recueils polyphoniques de bons mots, dont l’auteur n’a que le mérite de les avoir choisis. Le moraliste doit écrire comme s’il valait la peine de ne citer que soi-même, sans se nommer.
58. Si le je répond de l’expérience, un classicisme décent veut que sa divulgation passe par un nous. Que le moi touche une vérité incontestable ou triche en prêtant à tous ce qui ne concerne que lui, la dilatation de sa personnalité l’enchante.
59. Au mieux l’avis est autorisé ; la sentence déplaît par son autorité ; mais la maxime est si vraie qu’elle semble n’avoir point d’auteur.
60. Ce qui s’appelle vraiment un « bon mot », pourrait passer pour le produit de la seule énergie du verbe, sans artiste ni penseur.
61. Peu importe à l’élan créateur sa réception par le public. Il ne calcule rien, il ne transige avec aucune conscience des obstacles, il règne absolument.
62. L’inspiration n’est pas de penser, — car on pense toujours, — mais d’être entraîné par des formules invincibles.
63. On est en verve ou non : l’idée piquante naît avec la façon de la dire.
Pour peu que le modèle vous ait réussi une première fois, il vous fait encore la grâce d’avoir relevé plusieurs traits qui vous viennent à l’esprit. Vous traversez un moment faste.
64. On cherche la médiocrité ; mais l’excellence vous visite.
65. Une belle maxime est l’heureuse union de deux mots et d’une idée.
66. La définition d’un mot constitue déjà un aphorisme ; qu’une seconde lui soit liée, on obtient ce rythme binaire d’une marche, accréditant l’air résolu de la maxime.
67. Une maxime ne se lit pas comme une phrase terne, une consigne administrative : elle invite à produire un effet théâtral.
Le ton approprié n’est pas celui du donneur de leçon persuadé d’être plus malin que les autres, mais cette gravité ou cet amusement qui prennent le temps de rendre aux mots tout leur poids.
68. On peut sérier les productions des moralistes comme les casseroles ou les pots de cuisine. Mais de la maxime à la remarque, de la remarque à la réflexion, de la réflexion au discours, la quantité croît sans susciter le même intérêt : l’épice la plus piquante tient dans la taille minime.
69. Une réflexion paresseuse s’atrophie en sentence ; une sentence ambitieuse s’érige en maxime.
70. Afin de s’assurer, la pensée se développera ; puis elle se contractera pour marquer. Si elle vaut par la longueur, elle s’imposera par la concision.
71. Les pensées détachées se rangent décidément dans une littérature de l’éclat. D’abord par leur contenu fragmentaire, extrait brutalement d’un immense non-dit ; ensuite par le choc qu’elles peuvent produire sur le lecteur, néanmoins intéressé, ou conquis, ou même révélé. Mais surtout par un art de frapper qui exige le brillant, — au mieux sans préparation, car sans longueur ni ménagement.
72. La maxime réduit sans amoindrir, condense sans alourdir, abrège sans couper, résume sans rien sacrifier.
Le remplissage fait le roman ; l’épuration, la maxime.
73. Quoique indispensable à certains constats, l’énumération a le défaut d’ouvrir la maxime : celle-ci préfère se fermer en se concentrant.
74. Plus brève qu’un sonnet, la maxime n’en doit pas moins finir sur une espèce de chute, souvent égale à sa seconde moitié. Ainsi le mouvement s’arrête-t-il pour contenter l’esprit.
75. Souvent une pensée nous exalte, non qu’elle justifie à elle seule sa puissance, mais parce qu’elle nous mène à l’orée des terres qu’il faudrait explorer. La maxime n’en occupe pas moins l’instant délicieux où l’inachèvement ne se voit pas.
76. On vous applaudit sur une formule générale, mais on vous huerait sur un exemple. Il importe de s’arrêter avant de fâcher le récepteur. Que le point de vue théorique préserve l’harmonie.
77. Restons sur le faîte d’une maxime laudative et gardons-nous de l’illustrer : le cas précis paraîtrait si petit ! L’idéalisme se nourrit de grandeur et ne se sustenterait pas d’agrandissement.
78. Tirée d’un rien de l’existence, la maxime apporte son épi à la grande moisson.
79. Le romancier offre une généralité en passant. Le moraliste généralise partout et ne devrait se permettre la médiocrité nulle part.
80. Comme l’économie durable afin de ménager la planète, la plaisanterie doit, pour la survie de son contexte, se refuser les opportunités faciles, mais très passagères.
81. De la maxime à l’anecdote, le bon mot descend de la remarque générale au ragot, de l’anonymat des cibles aux noms véritables, de la repartie à la médisance. Mais l’effacement de la notoriété innocente l’amusement et la particularité des circonstances peut s’oublier dans l’éternité de l’instant.
82. Il est aussi raisonnable d’espérer une remarque originale d’une banalité que de semer un végétal adapté dans un sol ingrat.
83. De la banalité à la maxime on passe quelquefois de l’évidence au mystère. L’auteur lui-même en perd la clé.
84. Enoncée absolument, l’universalité peut vous ravir. Mais voici qu’un critique à la tête froide lui oppose une singularité !
L’exception fait le sérieux de la grammaire et le discrédit de la maxime. Sauf, hormis, à part, etc., rabattent la joie de l’assurance.
85. Qu’elle fasse rire ou attriste par son contenu, la maxime fait toujours sourire par sa sûreté.
86. L’étonnement né de la maxime ne devrait jamais tenir à une zone d’ombre de l’énoncé, mais à l’aspersion de vérité.
87. La maxime nimbe les certitudes et couronne les doutes.
88. Que de maximes sur des maximes ! L’objet du dire ne fournit plus que le moyen de réfléchir sur le moyen ! Un livre peut-il briller de l’éclat qu’il promet ?